Le souvenir de mes troubles remonte au début de mon
adolescence. Je les ressentais déjà plus tôt, mais je les exprimais autrement,
par le biais de l’écriture de poésie par exemple. Mais je me sentais déjà plus
sensible que la moyenne. Ce souvenir de mes troubles plus importants remonte au
début de mon adolescence. Je ressentais un grand sentiment de vide intérieur et
d’impuissance, plus le temps passait plus je me dévalorisais. J’ai commencé à
tracer des marques sur mes mains, des coupures. J’agissais ainsi en réponse à
mon désarroi. Je ne savais comment faire autrement pour me sentir vivante. Je
voulais faire fuir ce vide en espérant qu’il s’écoulerait de mes plaies. Sur le
moment cela fonctionnait assez bien puis rapidement il s’agissait d’une raison
de plus pour me détester bien que cela ne m’empêche guère de réitérer ce geste
auto-agressif. Je me sentais sombrer dans ce qui aux yeux des autres était une
crise d’adolescence bien corsée. Puis j’ai commencé à idéaliser une personne.
Il s’agissait de ma professeure de mathématiques. Je ne saurais trop expliquer
pourquoi. Ce que je sais, c’est qu’elle fut la première mais certainement pas la
dernière pour qui j’ai ressenti une sorte d’idolâtrie, et le point commun qu’il
y avait entre ces personnes et que je pouvais simplement ressentir et me
faisais les trouver belles, était leur caractère incroyablement humain. Je me
sentais irrésistiblement attirée par elles. Cette professeure fut donc la
première à qui je vouais cette admiration. Je pensais donc, en la ressentant
ainsi, qu’elle avait sûrement les réponses à mes questionnements intérieurs et
mettais tout en œuvre pour me confier à elle. Sans pour autant le faire
délibérément. J’écrivais donc partout sur mes cahiers des textes morbides. Je
continuais évidemment de me scarifier et essayais de lui montrer. Je n’ai pas
parlé avec elle à cette période. Elle faisait mine de ne pas voir. L’année
d’après je tombais
« admirative » devant ma professeure d’histoire-géographie. C’était
une femme pleine d’entrain et d’enthousiasme, dont les yeux exprimaient une
grande réceptivité. Je montrais de plus
belle mes scarifications et elle tomba par chance ou malchance, sur un courrier
que j’écrivais dans lequel je parlais de mes états d’âme. Il ressemblait plus
ou moins à l’annonce de mon suicide prochain, ce qui eu pour effet de provoquer
un tsunami dans la sphère qui m’entourait. J’ai fait durer cette histoire en
tentant de masquer les dégâts pour qu’au final elle m’éclate au visage avec
l’intervention de deux professeurs, de la conseillère principale d’orientation,
de l’infirmière, du principale et bien-sûr de mes parents. Quel ne fut pas le
scandale quand ils découvrirent mes scarifications, et quelle ne fut pas la
force de la gifle de mon père pour toute réaction. Ils ont tout de même tenté
de me faire prendre en charge par un professionnel, profession oblige étant
tous deux en psychiatrie, mais ça n’a pas aboutit. J’étais bien trop fermée, et
je n’étais pas prête de céder ma clée. L’année suivante, ce fut mon professeur
d’histoire-géographie qui m’obnubila. Je
pense que cela venait du fait qu’il était tout l’opposait de mon père mais
qu’il avait quand même su lui tenir tête lors d’une rencontre parent-professeur.
Mon père était effrayant mais il ne se
démonta pas pour autant. Cette année là, je commençais à manifester un certain
penchant pour la bouteille. Je continuais pour la troisième année de me
scarifier et cela s’était d’ailleurs étendu à mes bras, mes cuisses et mes
chevilles. Ma dernière année de collège fut donc également le théâtre d’un
scandale qui acheva d’inquiéter mes proches. Ce fut l’année où je décidai
d’écrire une lettre à chacun des professeurs que j’admirais en leur avouant
l’importance qu’ils avaient à mes yeux. La parole s’en trouva un peu débloquée
auprès d’eux et me fit grand bien, bien que non suffisante pour me sortir de
mes problèmes.
Puis je quittais ce lieu pour ce qui me semblait être la
coure des grands. Le vide en moi était resté toujours lattant depuis qu’il s’y
était installé. Mais je ne savais pas encore à l’époque qu’il ne partirait
plus. Je me suis mise à consommer drogue et alcool régulièrement, au point de
ne plus être moi-même des mois durant. Je faisais subir à mon corps en plus de
mes blessures volontaires, des crises d’anorexie et de boulimie. Deux trous
avaient été fait dans le mur et la porte de ma maison à cause de crises de rage
incontrôlées. Inutile de dire que mon téléphone mobile avait de nombreuses fois
connu l’ivresse du vol plané. J’ai bien failli une fois, lors d’un épisode du
même genre, casser une porte des toilettes de mon établissement scolaire.
Enfin, j’étais au lycée et je tentais de cacher mes comportements
autodestructeurs, malheureusement l’alcool m’a trahit. Un jour, en classe
d’espagnol, dont j’admirais grandement la professeure, étant ivre, je n’ai pu
refréner une pulsion de scarification. Je m’acharnais à me déchirer le poignet
à la lame, mon sang s’égouttant sur mes chaussures et le sol. Malheureusement
ou heureusement, cela n’a pas échappé à la vigilance de certains qui s’en
trouvèrent choqués et se hâtèrent de le faire savoir aux personnes d’influences. Nouveau scandale :
professeurs, conseiller principal d’orientation, surveillants, infirmière et
parents furent avertis. Pour la discrétion, c’était raté ! C’est environ à
cette période que j’ai fait une tentative de suicide qui a presque réussie.
Mais une personne a décidé de me sauver. A l’époque cela m’avait rendu triste. J’allais rentrer en clinique
psychiatrique à ma demande quand j’ai rencontré celui qui serait mon fiancé.
Au début, ce fut comme si j’avais retrouvé la partie de
moi manquante et que je me retrouvais complète et heureuse, bien que mon
penchant pour la bouteille soit toujours présent.
J’obtins mon bac et partis
à 300km de chez mes parents pour vivre avec lui et faire de la danse.
J’appréciais ma nouvelle vie. J’étais aimée, choyée, indépendante… Je ratais la
danse car quelques années auparavant j’avais perdu toutes mes convictions. Je
tombais enceinte à la même période. Aussi j’avortais. Ce geste ne me laissa pas
indemne. Je recommençai à me scarifier causant par la même la douleur et
l’incompréhension de mon fiancé. Je gardais toujours ce petit penchant pour
l’alcool que j’avais. Depuis, chaque année, à la période où aurait dû naître
cet enfant, ce n’est que souffrance qui m’habite, comblant le vide qui s’y
était installé. C’était du moins une souffrance dont je connaissais la cause.
Je n’avançais pas dans mes études, telle que je me voyais j’étais, bonne à
rien. La troisième année après mon installation avec mon fiancé, je ne faisais
rien de mes journées, ou presque, et je basculai dans l’alcoolisme. Je buvais à
en être ivre, provoquant en moi toute sorte de comportement impulsifs allant de
simples mots agressifs, au fait de téléphoner larmoyante, en pleine nuit à des
personnes, ou à m’enfuir de chez moi pour errer en ville pendant la nuit. Le
pire fut de frapper violemment mon fiancé. Cela provoqua la crise de mon couple,
il fallait du temps à mon fiancé pour savoir s’il voulait encore de moi. Ce fut
le pire mois de ma vie ! J’envisageais le pire tous les jours et savais
que je serais incapable d’y survivre. Je m’y résignais avec facilité. Puis, la
crise a été vaincue à l’aide d’une prise en charge psychologique. Je fus
traitée 6 mois durant lesquels je vivais normalement depuis longtemps. Il y a
deux mois, je décidais d’arrêter radicalement les formes de traitement qui
m’étaient prescrites : la médicamenteuse et la thérapie. Cela a été les
premiers jours, puis, lentement mais sûrement et de manière plus insidieuse
mais aussi plus douloureuse, mon mal a réintégré mon corps, ou mon âme, ou les
deux. Je recommence donc la lacération de mes bras en me faisant plus discrète.
Les idées noires m’habitent presque constamment. J’ai déménagé pour vivre seule, bien que toujours avec mon
fiancé.
Aujourd’hui, je réalise que je suis probablement atteinte
d’une maladie qui a causé tout ça, qui serait à l’origine de tout ce mal, pas
seulement du mien mais aussi de celui que j’ai pu causer autour de moi. Cela
m’attriste et me soulage à la fois.